Interview
Lepetitjournal.com :
L'Espagne est un pays qui vous inspire ?
Marie-Thérèse Bitaine de la Fuente : Oui et non. Je n'écrivais pas quand mes enfants étaient encore petits. J'étais prise dans l'engrenage de la profession sans doute. Par contre, lorsque j'étais étudiante en France j'écrivais quelques poèmes. J'avais une amie qui me poussait et qui me disait qu'il fallait absolument que je continue. Alors quand je suis arrivée en Espagne, en 1965, elle n'était pas très contente, certaine que j'allais cesser d'écrire. Et c'est vrai, c'est ce qui s'est passé.
Pourquoi Madrid ?
Avec ma sœur jumelle, nous allions toujours en Italie, jusqu'au jour où nous avons décidé de venir en Espagne. J'ai alors terminé mes études et mes différents stages à Paris avant de demander à venir enseigner le français moderne ici, au lycée Français de Madrid. J'avais 26-27 ans et on m'a donné un poste de surveillance générale alors que je ne parlais pas un mot d'espagnol ! J'étais assez ennuyée, car j'avais un certificat d'italien de l'université. De plus, je débarquais de Paris, le fief des intellectuels de gauche à l'époque. La tête pleine de tout ça, avec des professeurs comme Dominique Fernandez ou Yvon Bourdet qui lui, faisait une thèse sur l'austromarxisme. J'arrive en Espagne, sous régime franquiste. Vous voyez le choc. Les vieilles dames de la pension me disaient "Oh là là, pauvres Allemands. Les bombardements de Dresde, toute la ville a été rasée". Elles ne pouvaient pas comprendre, mais moi, ma mère avait été tuée par des Allemands...
Dans votre dernier livre, Papiers d'automne, la retraitée, c'est vous ?
En partie. Dans cette autofiction, je raconte le quotidien d'Eva, une Française à la retraite qui a un tas d'occupations : concerts, expositions, la première dissection faite par sa fille, étudiante en médecine, sur une jeune fille morte d'une overdose… Elle fait aussi beaucoup de voyages : la Toja, Burgos ou Grenade. Je m'appuie sur tout ce que me suggère la vie en Espagne, comme par exemple Zidane, la femme torero Cristina Sanchez qui a arrêté sa carrière, puis critiquée par les journaux le jour où elle décide de la reprendre. Je raconte aussi la mort de l'écrivain Francisco Umbral, complètement occultée par le décès d'un jeune footballeur. Dans l'épisode de La Mancha, des amis viennent et vous racontent le quotidien d'un mariage mixte entre une Espagnole issue d'une famille très catholique et un Lyonnais d'origine protestante. La particularité de mon livre tient peut-être au fait qu'à chaque fin de chapitre, il y a des remarques, mes remarques, sur l'écriture et la nécessité d'écrire.
Une nécessité qui en devient une thérapie …
Ma mère est morte à 24 ans, première victime civile de Rouen [Le violon de Maman]. Elle avait deux jumelles de neuf mois, ma sœur et moi. J'ai eu une enfance heureuse, mais avec une espèce de poids, cette tristesse des adultes et de la guerre. Nous allions sur une tombe, il y avait une photo et il fallait embrasser la photo de cette femme si jolie, sans comprendre vraiment pourquoi. A l'entre-deux-guerres, mes grands-parents, originaires de l'île Groix en Bretagne, étaient partis vivre en Allemagne. Pour ma grand-mère, c'était une promotion sociale que de faire apprendre le violon à son fils et à sa fille aînée. Quelque fois, elle nous montrait le violon de maman, la seule chose qui restait d'elle. Il a disparu et personne ne sait où il est...
Quels évènements ont marqué votre vie de professeur française installée à l'étranger ?
En tant qu'enseignante, j'étais quand même un peu sévère. Le genre de professeur qui déclenche soit des passions, soit des haines. Je sais que j'en ai sans doute heurté plusieurs, un peu trop exigeante parfois. Aux 125 ans du Lycée Français de Madrid, j'ai retrouvé un élève, un scientifique, qui s'est levé et qui m'a dit : "Madame de la Fuente, je me souviens que vous nous aviez dit que " La fille de Minos et de Pasiphaé" était le plus beau vers de la langue française". J'ai été vraiment touchée. Il y a eu aussi cet article paru dans la revue Les Langues néo-latines, sur Fernando Botero. Il était exposé au musée de la Reine Sofia et j'y ai amené mes élèves de première. La peinture, c'est ce qui leur donne des souvenirs, plus que l'orthographe ou la grammaire. Je me souviens bien du comédien Oscar Ladoire, de Miguel Bosé, le chanteur et de Javier Moro que j'ai eus tous les deux en classe. Le second est devenu un écrivain à succès, avec notamment des romans sur l'Inde, comme Le sari rose.
Propos recueillis par Mathilde BAZIN (www.lepetitjournal.com – Espagne) Jeudi 21 avril 2011