La poésie à tout-va
On est à l'heure du speed partout, dans notre rythme de vie, dans nos déplacements, dans les communications qui enchaînent les nouvelles sans que l'on ait toujours le temps de les assimiler…Les progrès immenses de la technologie permettent maintenant à n'importe qui de s'exprimer dans « l'immédiateté » ! Que ce soit sur les réseaux sociaux, les sites ou les groupes de parole de toutes sortes, chacun y va de son opinion, de son opprobre ou de son enthousiasme, de son poème même et il est bien difficile de s'y retrouver… Je sais que chaque Français se rêve écrivain et si possible poète, pourquoi pas ! Je sais qu'il est préférable de faire un poème plutôt que la guerre et que c'est bien que beaucoup plus de gens écrivent !
Mais hélas, la poésie aussi vit ce mal de la rapidité partout, typique du vingt-et-unième siècle ! On dirait que l'essentiel est de produire, de publier, de se faire remarquer surtout. Alors, plus on en met, mieux ça vaut : il faut battre le record de la production, comme les poules pondeuses du Salon de l'Agriculture, sauf qu'ici c'est d'une sous-culture dont il s'agit, le plus souvent ! Une ponte rapide, programmée, automatique, j'ai envie de dire ! Allez-y d'un poème par jour, plus vous en mettez, mieux c'est ! Plus on vous remarquera, plus vous apparaîtrez partout, même en clandestin sur les boîtes mail de vos concurrents ! Et les textes pleuvent, s'accumulent, s'entassent ! C'est comme un terril qui cacherait quelques pépites et encore, ce n'est pas sûr du tout ! Mais, puisqu'il est ici aussi question de temps, le lecteur d'aujourd'hui et de demain, habitué à consommer vite, à lire vite, n'en aura plus assez pour débroussailler toutes ces scories et trouver le beau vers, comme la perle rare, s'il existe …
Certes, on peut se justifier en disant que l'expérience de l'écriture automatique au début du XXème siècle prédisposait à la rapidité et aux trouvailles du hasard comme aujourd'hui, certains logiciels d'écriture : pourtant rien de transcendant n'est sorti directement de la première et l'effort fondamental doit toujours venir, en définitive, du choix de l'auteur !
On pourrait dire aussi que, chez les grands poètes, tout n'est pas à la même échelle dans l'extase poétique et que de nombreux vers ne sont pas forcément sublimes. Pourtant, tous contribuent, pas à pas, pierre à pierre, à construire l'œuvre, à la sustenter. C'est un lent travail de maçon et on en a les preuves grâce aux manuscrits conservés un peu partout dans les archives ou les bibliothèques : le curieux averti peut alors se pencher avec un certain attendrissement sur les patientes retouches qui ont fait naître de beaux vers et façonner un ensemble cohérent, solide et identifiable : un univers artistique personnel et non un émiettement de hasard.
Non, non et non ! La vitesse est pernicieuse ! La poésie a besoin de lenteur, de doute, de retours en arrière, de corrections, de rectifications, d'abandons et de reprises même parfois…jusqu'à ce que jaillisse l'évidence : un beau vers, une belle page, dignes d'être publiés car, derrière tout cela, il doit y avoir le respect du lecteur à qui on ne doit pas « balancer » n'importe quoi !
La poésie, comme l'enfantement, a besoin de lenteur ! L'écrivain-poète ne peut se contenter de peu : il ne doit pas livrer aux non initiés une pâture bon marché ! C'est les tromper, c'est un crime de lèse- poésie ! et j'ai trop de respect pour la vraie que de voir proliférer partout des succédanés qui se font passer pour elle !
NB. Ou : LA SPEED-POÉSIE pour ceux qui ne sont pas allergiques aux anglicismes !