Critiques d'oeuvres d'amis Críticas de obras de amigos
Critique 1:
JAVIER MORO
Le Sari rouge
Ce livre magnifique relate non seulement l'histoire d'une femme exceptionnelle qui apparemment n'était pas destinée à un tel avenir par sa nationalité, son origine sociale, sa formation et même son caractère mais toute une partie de l'histoire de l'Inde contemporaine dont il éclaire l'évolution et les soubresauts, le rôle des partis politiques, des communautés et des religions qui s'y imbriquent et qui ont souvent failli en faire éclater l'unité.
Commençons par le bel incipit qui montre le désespoir et la désorientation de la jeune veuve après la mort de son mari assassiné pendant que le personnel de service se souvient encore du grand homme qui jouait, enfant, dans les pièces infinies du palais, la tension dramatique de la crémation qu'intensifie le réalisme des doigts du mort qui se tordent, noires, sur le bûcher. On est donc secoué d'emblée par les oppositions de cette terre de contrastes : la dureté des faits en face de la force des sentiments et le déterminisme politique qui dirige souvent les êtres contre leur volonté profonde.
Et une grande partie du livre est récurrente à cet événement qui met Sonia en demeure d'accepter malgré elle le poids d'un destin parallèle à celui de sa belle-mère, la grande Indira Gandhi que l'on suit pas à pas d'abord, depuis sa prise de pouvoir jusqu'à son assassinat. C'est auprès d'elle que Sonia a appris les entrelacs de la politique et les vicissitudes du pouvoir. Elle a su apprécier l'intelligence d'Indira mais aussi découvrir ses faiblesses et même ses erreurs, ce qui lui permettra ensuite de les éviter…
La structure du livre suit désormais une progression linéaire jusqu'à la mort du fils, obligé, lui aussi, comme sa mère et comme Sonia après lui, à jouer un rôle déterminant sur la scène politique pour ne pas voir s'écrouler tout-à-coup les valeurs démocratiques d'unité nationale et de tolérance raciale et religieuse qui ont toujours été celles de la famille Nehru-Gandhi. La mort de Rajiv referme la boucle de l'incipit pour s'ouvrir sur la trajectoire étonnante de sa femme.
On assiste donc souvent aux déchirements presque cornéliens de trois êtres a priori peu doués pour le pouvoir : par timidité, simplicité, droiture et sens inné du devoir et qui se voient précipités au cœur même de l'histoire. On découvre le rôle des media, les ficelles de la haute politique, les rivalités de partis, les maladresses et les erreurs des dirigeants, les pièges et les trahisons, l'efficacité des rumeurs. Chacun de ces personnages, à un moment ou un autre, se sent floué par ses pairs...Ils découvrent comment les vraies valeurs sont sacrifiées devant la volonté de puissance, la corruption, comment des troubles atroces peuvent être orchestrés pour des intérêts politiques. C'est de tout cela que Sonia prend conscience au long d'un cheminement douloureux d'actions et de réflexions.
Et puis, après avoir réussi une récupération électorale et inespérée de son parti, après avoir démontré sa proximité avec le peuple, le paradoxe de Sonia, c'est qu'en renonçant définitivement au pouvoir, son rôle est encore plus grand, l'auteur lui attribue le mérite des derniers succès du pays qui se modernise à grands pas : la consolidation de l'unité nationale, de l'intégration des minorités, d'une plus grande tolérance…Ses valeurs chrétiennes : le sacrifice, le devoir, le pardon, en définitive triomphent.
Enfin ce livre lourd, documenté à l'extrême, sait vous prendre par un style alerte capable de détendre les tensions par des moments souriants ou comiques.
Mais je ne peux terminer cette analyse sans dire pourquoi ce livre a eu pour moi un écho plus personnel. J'ai été italianisante et amoureuse de l'Italie, le mari de ma sœur est de race indienne : ma sœur lit et parle le goujerati et se débrouille en hindi. Donc ce va-et-vient entre l'Italie et l'Inde ne me laisse pas indifférente : j'ai savouré les évocations de l'Italie du nord, de Turin où j'ai vécu un peu, les relents de cuisine italienne ; j'ai aimé les moments où apparaît le petit peuple de l'Inde, ses pratiques, sa patience, son fétichisme… et ai été émue par la référence à Krishnamurti dont j'admire la sagesse…
Enfin je revois comme des flashes l'épisode burlesque où Indira, en campagne électorale, n'hésite pas à traverser un fleuve pour arriver à Belchi sur le dos d'un éléphant qui a de l'eau jusqu'au ventre, le bel effet des turbans multicolores des paysans dans la poussière ocre des troupeaux, la dimension magique que prennent, lors de la dispersion des cendres du père, les pleurs des deux enfants et de la mère, tous accroupis auprès du Ganges, et qui forment un « autre affluent » du « fleuve de la vie »… Beau livre, vraiment, foisonnant et plein d'humanité.
MARIE-THÉRÈSE DE LA FUENTE
Critique 2 :
Javier Moro
El Imperio eres tú
Enorme roman qui ouvre des aspects historiques généralement peu ou mal
connus en France où traditionnellement étaient étudiées en classe les guerres
d'indépendance de la Grèce, de l'Italie et même de la Pologne mais non pas les
mouvements libéraux qui ont tenté de libérer le Portugal de l'absolutisme et
encore moins ses rapports houleux avec le Brésil au XIXème siècle. Et cela,
l'auteur le fait avec l'art consommé d'un conteur qui ne fatigue jamais son
public malgré l'extraordinaire documentation et la multitude de détails qu'il
donne. La lecture est si facile que le lecteur ne peut quitter ce gros livre
qui se lit donc très vite et avec grand plaisir.
Cela est dû en partie au le style : d'une grande élégance classique, il en a la précision, la fluidité, la légèreté. On pourrait aussi le qualifier de « cinématographique » en ce sens qu'on a la sensation de participer à l'histoire sans que ne nous soient imposées des analyses compliqués ou des descriptions assommantes. Il semble couler de source mais cette simplicité cache un vrai savoir-faire.
Mais faisons d'abord une remarque sur la polyvalence de titre, particulièrement bien trouvé car il comprend intrinsèquement la dimension sentimentale qui ne se perd à aucun moment dans le livre et lui donne sans doute cette qualité presque indispensable pour un best-seller. « L'Empire, c'est toi » pensent bien sûr toutes les grandes femmes de la vie de l'empereur Pedro Ier du Brésil : Léoplodina et Amélia. Mais lui sait très bien que l'Empire, c'est aussi sa première femme qui l'a aidé à en garder l'unité par sa participation efficace dans les moments difficiles et par sa grandeur morale : même morte elle marque encore les esprits et il lui doit que le peuple accepte son fils comme successeur. Pourtant, l'Empire démesuré élargi au Portugal de la fin du livre, il le doit aussi à sa deuxième épouse qui a su le convaincre au bon moment d'engager la reconquête et la libération de son pays natal. On peut penser que les époux se renvoient la balle et se remercient mutuellement dans ce discours direct et volontairement énigmatique qui sert de titre au roman…
La structure du roman suit une progression épique puisqu'il raconte d'abord l'histoire d'un empire colonial amputé de sa « mère patrie » conquise par Napoléon et bien menacé par les poussées indépendantistes et libérales qui risquent de le faire éclater. Pedro I se bat avec audace et vigueur pour le conserver et, malgré ses erreurs, il ne le perd pas vraiment puisqu'il fait accepter son fils comme successeur. Et au moment où tout semble perdu pour l'empereur exilé en Europe, il retrouve l'énergie nécessaire pour entreprendre la reconquête du Portugal. C'est la deuxième grande étape de sa vie qui en fait un véritable héros, proche de ses soldats à la manière romantique : il est capable d'un geste suprême de noblesse puisqu'il donne l'ordre à un artilleur de ne pas tirer sur son exécrable frère qui se trouve pourtant sur une colline à portée de balle. D'ailleurs cette grande épopée historique qui déploie devant le lecteur les innombrables mouvements des armées, le détail des combats, sous-tend aussi comme en sourdine, une lutte plus personnelle, comme un fond récurrent de tragédie, celle des frères ennemis. Tout les oppose depuis l'enfance, l'un l'attachement à la mère, l'autre au père, le physique, le caractère et surtout l'idéologie puisque Pedro, généreux et sensible malgré ses emportements, se sentira toujours défenseur des idées libérales alors que Miguel, égoïste et cruel, choisit l'absolutisme et l'immobilisme de la religion. Une complexité qui, à n'en pas douter, donne de la profondeur au roman.
Cette structure binaire permet de mettre en valeur les enjeux politiques de l'histoire à cette époque : pendant que l'Europe s'exaltait devant les idées libérales et égalitaires, défendues par les Byron et les Victor Hugo, les Delacroix, que les souverains se devaient d'octroyer des chartes et d'accepter des parlements, les réactionnaires pesaient de tout leur poids, terrorisés par les excès de la Révolution française et la crainte de perdre leurs privilèges. Le roman nous apprend que ces mouvements opposés avaient une tout autre envergure : non seulement ils avaient secoué l'Amérique du Nord mais au début du XIXème siècle ils agitaient aussi bien le Brésil avec « la bande Cisplatine » (…en français ???) et les gauchos d'Argentine et d'Uruguay. La problématique de l'esclavage est donc une véritable toile de fond du récit : Pedro aura toute sa vie à lutter contre les libéraux de son pays défenseurs de leur constitution mais en même temps des planteurs dépendants du commerce des esclaves ! Et cette lutte constante est soulignée par le leitmotiv de Don Quichotte qui revient dans tout le roman, donnant au personnage principal une dimension littéraire et psychologique inattendue. En effet Pedro, malgré son égoïsme débridé, ses contradictions profondes, reste cependant un être attachant à la façon de Don Quichotte dans la mesure où il est profondément généreux : il est capable de penser aux autres et se met souvent à leur service au cours de sa vie et plus encore vers la fin quand, après s'être exposé à tous les risques des combats comme un simple soldat, il traverse Porto comme le vrai Don Quichotte qu'il est devenu, sur un cheval efflanqué. Il mourra au palais de Queluz près des tableaux du « chevalier à la triste figure » qui avaient bercé son enfance.
L'auteur évite aussi la possible monotonie d'un récit linéaire par l'usage de quelques anticipations qui aiguisent l'attention du lecteur. Les récurrences, plus rares, ont pour effet d'insister sur les expériences passées des personnages ou de leurs proches ou encore d'intensifier leur nostalgie. On découvre alors la dimension poétique de ce roman surtout dans des scènes ou des évocations saisissantes comme celles des départs ou des retours de l'exil, souvent revécues par les protagonistes en rêves éveillés, ce qui donne au texte une force visionnaire. Ce sont des effets oniriques jamais gratuits mais, comme le voulait Flaubert, toujours sollicités par l'émotion des protagonistes…
MARIE-THÉRÈSE BITAINE DE LA FUENTE
Critique 3:
Stephen Blanchard
Rimes vagabondes
